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Le fromage Corse est un produit assimilé au patrimoine culturel de l'île et des ses habitants.
Le fromage a toute sa place en Corse, qui est avant tout une terre de bergers: ces hommes et ces femmes vivent en parfaite harmonie avec la nature, parfois hostile, mais indispensable à leur survie. Même si les techniques de fabrication du fromage corse évoluent et se modifient au fil du temps, les règles de vie de ces bergers sont régies de la même façon depuis des décennies et contribuent à la qualité du fromage Corse issu de leur métier.
La singularité du fromage Corse, c'est un terroir où tout ce qui fait de la Corse une île unique en Méditerranée, tient aussi à son patrimoine, véritable reflet de son histoire complexe. L'histoire de la Corse se lit aussi bien dans les menhirs anthropomorphes de Filitosa ou les « Castelli » de l’Alta Rocca, que dans les citadelles génoises du littoral, les églises de Castagniccia aux riches ornements baroques ou encore les vestiges antiques. La culture vivante de la Corse, perpétuée par des siècles de coutumes trouve toute son expression dans les voix, la musique ou l'artisanat d'art. Les nombreuses manifestations culturelles ou foires rurales qui se déroulent en Corse deviennent la vitrine d’une culture, d’un art de vivre et d’un artisanat qui ont failli disparaître, en même temps que la société qui les portaient. A l’image de leur île, les Corses avaient une réputation contrastée. Si on les crédite encore, surtout dans les villages de l’intérieur, d’un sens certain de l’hospitalité, leur caractère ombrageux et susceptible des corses fait de moins en moins référence. Les sérénades de Tino Rossi ont eu raison des légendaires « bandits d’honneur ». Et lorsque dans la nuit, s’élèvent les «paghjelle», chants traditionnels à trois voix, c’est l’âme corse, fière et ardente que vous entendez chanter.
Riche par son patrimoine, la Corse est également riche de traditions vivantes où la gastronomie et notamment le fromage tient une place de premier ordre. L’élevage et l’agriculture traditionnels fournissent, au fil des saisons, le principal de la production agro-alimentaire insulaire qui a fait la réputation de la Corse. Aussi les saisons tiennent-elles toute leur place dans l’expression de l’art de vivre corse : la gastronomie. Une gastronomie où l’authenticité des productions du terroir côtoie la qualité de l’élaboration de ses produits. Les vins, dont certains très réputés, en défendent les couleurs. A l’élevage et à l’agriculture, la chasse et la pêche ajoutent, toujours selon les saisons, leur lot de saveurs.
Le berger corse est d'abord un fromager. La traite s'effectue de façon différente pour les chèvres et les brebis, en fonction de la connaissance que les bergers ont des animaux: les chèvres sont traites dans un enclos rond (mandria, ou presa) dans lequel elles peuvent circuler librement. Le berger de brebis, lui, fait entrer son troupeau dans un enclos étroit et allongé (compulu), dans lequel les brebis sont serrées les unes contre les autres. Il commence à traire à une extrémité du compulu et avance peu à peu en faisant passer les brebis derrière lui au fur et à mesure qu'il les a traites.
La relation du chevrier (capraghju) à ses bêtes est différente d'une bête à l'autre: chacune est individualisée par un nom, et l'on connaît son comportement. Les chèvres ont la réputation d'être, comme il se doit, plus capricieuses, mais aussi plus attachées à leur berger un dicton niolin affirme: « capre a u patrone, pecure a rughjone» (les chèvres sont attachées au berger, les brebis à leur pacage).
Une fois la traite terminée, le berger fait cailler le lait avec de la présure obtenue à partir des estomacs de cabris de lait, séchés à la fumée, réduits en poudre, et mélangés à de l'eau. Le lait est emprésuré à froid, et il caille en moins de deux heures. On casse alors le caillé, afin d'en faire sortir le petit-lait (seru), puis on le verse dans les moules à fromage (fattoghja ou casgiaghja) en jonc tressé (aujourd'hui ils sont, le plus souvent, en matière plastique) posés sur une planche légèrement creusée et rainurée, (scaffa ou tavuleddu) qui recueille le petit-lait et le conduit jusqu'à un chaudron de cuivre étamé (paghjolu). Les fromages égouttés sont assemblés deux par deux: on obtient ainsi un fromage de formes régulières qui pèse, frais, de 800 g à 1 kg. Il sera salé deux ou trois fois, et affiné peu à peu dans une cave humide et fraîche. Dans le Sartenais, le lait est caillé à la chaleur de 30°, le fromage frais est pressé à la main dans un moule en bois (scudedda) et affiné sur des claies à la fumée de bois.
Une fois le fromage fait, le berger passe à la fabrication du brocciu.
Le brocciu est fait à partir d'un mélange de petit-lait et de lait entier (puricciu) dans la proportion de quatre cinquième de petit-lait et de un cinquième de lait entier. Ce lait entier a été mis de côté avant l'emprésurage. Le petit-lait est d'abord chauffé seul, jusqu'à la température de 50° environ. On le sale et on y ajoute alors le puricciu. Le mélange est porté à la température de 75° ; la surveillance du feu est une opération délicate. Le feu ne doit pas être trop vif, (on exclut pour cette raison les résineux parmi les combustibles), mais il doit être continu.
Quand la température approche de 75°, il se forme un précipité blanc qui monte à la surface du mélange où il constitue une masse légère, onctueuse et souple, que le berger débarrasse soigneusement des impuretés apportées par le vent (cendres, poussières) et qu'il dépose délicatement avec une palette en fer dans des moules de jonc tressé. Le brocciu est ensuite doublé, comme les fromages. Le liquide qui s'écoule de ces moules, ou qui reste au fond du paghjolu est appelé ciaba. Les bergers le donnent aux porcs et ils s'en servent aussi, quand il est encore presque bouillant, pour laver les ustensiles qui ont servi à faire le fromage et le brocciu. C'est à peu près tout le parti qu'on peut tirer de la ciaba.
Le brocciu peut être consommé frais, le jour même de sa fabrication, ou bien conservé : dans ce cas, on le sale, comme un fromage. L'ensemble des opérations de fabrication du fromage et du brocciu occupe à peu près deux heures, à quoi s'ajoutent les deux heures nécessaires au caillage du lait, pendant lesquelles le berger s'occupe de l'affinage : salages et lavages des fromages et brocciu déjà en cave.
Les vieux bergers disent qu'il est nécessaire, pour faire un bon fromage Corse, de le prendre en mains (manighjà) au moins tous les deux ou trois jours.
Les bergers corses font rarement du beurre bien qu'ils sachent le faire; la cuisine Corse traditionnelle n'utilise que l'huile d'olive et le saindoux. On consomme aussi, assez fréquemment, le caillé et le fromage à tous les états de sa fabrication : frais ; non salé ; à peine salé; « fait» (fattu), au bout de 5 à 6 semaines ; ou vieux (vechju), après plusieurs mois d'affinage.
Les fromages corses sont variés : en établir la liste complète serait difficile; on peut au moins distinguer, parmi les plus connus, les fromages originaires de Calenzana, du Niolu, de Venacu, qui sont tous des fromages à pâte molle ; le Sartenais est un fromage à pâte pressée. Le brocciu est connu dans toute la Corse ; dans le Sartenais on fabriquait autrefois une sorte de caillé appelé ricotta qu'on produisait en jetant dans un seau de lait entier quelques gros galets chauffés, jusqu'à ce qu'on produise l'ébullition du lait. Quand le lait est redevenu tiède on le fait cailler, et on obtient la ricotta Corse.
On ne peut pas parler de la fabrication du fromage, en Corse, sans mentionner la place qu'a prise dans l'économie pastorale, depuis 1899, l'industrie fromagère de Roquefort. A l'heure actuelle, 90 % de la production laitière ovine, représentant la quasi-totalité des troupeaux (environ cinq cents) sont traités dans les six fromageries roquefortoises implantées en Corse. Elles exportent chaque année vers le continent 1200 à 1300 tonnes de fromages en fourmes, qui finiront leur affinage dans les caves de Roquefort.
La période de ramassage du lait, s'étend d'octobre à la fin mai. En juin-juillet, à la montagne, les bergers des brebis font du fromage traditionnel pour leur consommation propre et la vente dans le circuit local. La production Corse représente environ aussi 10 % de la production totale de Roquefort.