Les fromages français en interaction avec la nature et l'Histoire

01. Les fromages français en interaction avec la nature et l'Histoire

L’histoire du fromage, c’est un peu de l’histoire de France. Elle croise le chemin de Charlemagne ou de Napoléon, se mêle au rôle des religieux ou participe à l’évolution de la recherche scientifique.

OBSERVATIONS CONCERNANT LE PROJET D’INSCRIPTION DE LA GASTRONOMIE FRANCAISE  AU PATRIMOINE IMMATERIEL DE L’HUMANITE AUPRES DE L’UNESCO.

LE FROMAGE : PILIER DE LA GASTRONOMIE FRANCAISE

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Etroitement mêlé à l’histoire française et à sa tradition, le fromage est d'abord un produit de terroir, souvent fabriqué dans une aire géographique restreinte et selon des méthodes bien caractéristiques. C’est souvent le lieu de production qui donne son nom au fromage. Cantonnée à une commercialisation sur les marchés de proximité faute de pouvoir maîtriser le froid et faire voyager une matière fragile, la production est en effet restée longtemps fermière et de petits volumes.

Le Munster est né en 855 dans un monastère alsacien. Son nom signifie "église abbatiale". Un siècle plus tard, vers 960, une autre recette voit le jour en Picardie : l'évêque de Cambrai incite les moines de Thiérache à prolonger l'affinage de leur fromage, initiative à l’origine du fameux maroilles.
Selon un texte de 1060, il est stipulé que les redevances dues à l’abbaye de Conques devaient être acquittées en l’espèce de deux fromages de Roquefort. Plus tard, en 1411, le roi Charles VI octroie par lettres patentes aux habitants de Roquefort, qui affinaient des fromages dans leurs caves depuis l’Antiquité, le monopole de cette pratique « tel qu’il est fabriqué de temps immémorial dans les grottes dudit village», charte qui fut confirmée par Charles VII en 1457, Henri III en 1516, François II en 1560, Louis XIII en 1619, Louis XIV en 1645 et Louis XV en 1752. Depuis, l’AOC a été obtenue en 1925 et confirmée en 1973.

C’est donc toute l’Histoire de France qui apparaît à la lumière de ce savoir-faire artisanal et traditionnel, comme une interaction régulière entre mœurs et politique.

Les multiples méthodes de fabrication des fromages démontrent l'aptitude de l'homme à s'adapter à la nature et à son environnement. En France, la sélection des multiples races laitières et les huit grandes familles de fromages sont autant de réponses de l'homme au climat, à la géographie et parfois à la géologie d'une région de production.

En Poitou et en Touraine, l'herbe se fait rare en été : on y élève des chèvres depuis les invasions sarrasines du VIe siècle. En Normandie, le climat humide et doux assure toute l'année la présence d'herbe et donc de lait. Il n'est ainsi pas nécessaire de conserver très longtemps les fromages qui sont donc des pâtes molles, à affinage court comme le Camembert ou le Neufchâtel. Quand vient l'hiver, l'affinage s'allonge un peu, avec le Pont l'évêque et le Livarot. Déjà décrit dans le Roman de la Rose en 1236, l’angelot du Pays d’Auge est l’ancêtre du Pont-l’évêque, fromage à pâte molle et à croûte lavée. C’est aussi l’aïeul du Livarot.  Le Bassin Parisien, est depuis longtemps très urbanisé. Pour approvisionner les villes toute l'année, on livre aux fromagers des variétés à pâte molle, comme le Brie, partiellement affinés. L'affinage se prolonge dans les caves calcaires de ces fromagers, qui deviennent ainsi affineurs, et des fromages "faits" sont disponibles en toute saison.

Dans le Massif Central et l’Auvergne, les hivers froids et neigeux nécessitent depuis 2000 ans la fabrication de fromages de grande taille qui se conservent longtemps, comme le cantal ou le laguiole. Dans les Pyrénées, le lait, surtout de brebis, est disponible en plaine au printemps, puis en été dans les montagnes. On fabrique donc de gros fromages comme l’Ossau-Iraty et le Béthmale qui se conservent jusqu'au printemps suivant.  Dans le Nord, en Lorraine ou en Alsace, il y a peu d'herbages et donc peu de lait en hiver. Les fromages, fabriqués essentiellement dans les monastères, doivent se conserver tout au long de l'hiver. Il s'agit donc de variétés à pâte molle, mais à affinage long et à croûtes lavées, comme le Maroilles et le Munster. Dans le Jura ou dans les Alpes, le lait est produit en été, dans les pâturages libérés par la fonte des neiges. Il permet de fabriquer d'énormes fromages à pâte pressée : Comté, Beaufort, Abondance

Ces fromages "de garde" sont les plus grands : ils dépassent tous les vingt kilos, et peuvent en peser plus de cent. Ils résistent au transport et se conservent longtemps. Ils redescendent dans les vallées à l'automne, et permettent de tenir jusqu'à l'été suivant. Au XIIIe siècle en France, naissent les premières coopératives de production : les "fruitières". Les éleveurs de certains villages des Alpes et du Jura rassemblent leur collecte de lait quotidienne pour en faire faire un seul gros fromage. En région méditerranéenne, les brebis et les chèvres s'adaptent mieux que les vaches à la végétation rare et au temps chaud et sec. Les fromages sont petits : Pélardon, Banon ou tomme d’Arles.

Ainsi, les fromages entretiennent tous une relation particulière à l’espace. Leur  inscription en un lieu s’accompagne  d’un ancrage historique  et de pratiques collectives. Les productions locales croisent l’espace, le temps et font l’objet de savoir-faire partagés. Toutes les productions fromagères ont une histoire différente, mais l’antériorité qui donne une crédibilité est vraiment liée à la mémoire transmise.