L'histoire du Parmesan - le Parmigiano Reggiano

06. L'histoire du Parmesan - le Parmigiano Reggiano

Ce sont les moines Bénédictins et Cisterciens, qui, au moment de l'assainissement de la plaine padane, commencèrent à transformer le lait en fromage de grande taille pouvant supporter un affinage long. L'histoire du Parmigiano Reggiano naissait ainsi il y a plus de neuf siécles.

Déjà dans les textes des anciens auteurs romains, apparaît l'histoire du Parmigiano-Reggiano en référence à une zone de production spécifique. Nous disposons par contre de renseignements précis sur comment, au Moyen Âge, dans les abbayes des moines bénédictins et cisterciens de la plaine du Po, on initiait la production du Parmigiano-Reggiano, avec les techniques en vigueur encore de nos jours. En particulier, dans la partie de la plaine du Po située entre les Apennins et la rive droite du Po, les moines qui étaient d'habiles agriculteurs, assainirent les marécages et défrichèrent les champs en semant des plantes fourragères en des quantités suffisantes pour l'élevage de nombreux bovins. Avec du trèfle et de la luzerne commença la mise en culture des champs qui sont encore aujourd'hui indispensables pour nourrir les vaches et obtenir un fromage particulièrement savoureux, à l'arôme délicat et d'une bonne maturation, en n'ajoutant ni additifs ni conservateurs pouvant nuire à la production du Parmigiano-Reggiano. Alors seulement, grâce à la disposition d'un nombre suffisant de bestiaux, put initier la production du Parmigiano-Reggiano qui demandait près de 600 litres de lait pour la production d'une seule meule qui, alors comme aujourd'hui, pouvait atteindre un poids de 40 Kg.

C'est ainsi qu'aux côtés des grands monastères et des châteaux imposants apparurent les premiers " caselli ", petits bâtiments carrés ou polygonaux, encore visibles dans nos campagnes, où était transformé le lait. Tel fut le berceau de l'histoire du Parmesan ou Parmigiano-Reggiano au XII siècle. A cette période, débutèrent les échanges de marchandises entre les différentes communautés religieuses d'Italie et d'Europe qui conduisirent à d'extraordinaires inventions de produits alimentaires de qualité qui sont appréciés encore de nos jours : d'excellentes bières, des eaux de vie de qualité, de grands vins rouges et mousseux et d'excellents fromages. En effet, les moines ne se sont pas limités à la constitution de grands élevages mais, dans leurs immenses cuisines et dans leurs ateliers, ils réalisèrent d'importantes expériences et inventions. Ils découvrirent notamment qu'en chauffant le lait deux fois à une température adaptée et contrôlée, est obtenue une pâte ayant peu de résidus aqueux ; condition idéale pour la production d'un formage de longue conservation et avec une forte valeur nutritive en plus du bon goût. Bien vite, les grandes meules de Parmesan ou Parmigiano-Reggiano reluisantes comme le soleil, attirèrent l'attention des marchants qui, des monastères de la plaine du Po, les portèrent et les firent apprécier dans le monde entier. Depuis lors, la production de parmesan n'a substantiellement pas changé car la force de ce produit inimitable réside dans le respect rigoureux et sacré des traditions.

Il existe de nombreux documents qui attestent l’origine antique dans l'histoire du Parmesan ou Parmigiano-Reggiano.
Dès l’époque romaine, Columella, Varrone et Marziale vantaient la fabrication et la renommée d’un fromage de Parme présentant des caractéristiques très proches de celles du Parmigiano-Reggiano actuel. Une des citations les plus probantes se trouve dans le Décaméron de Giovanni Boccace. Il ne fait aucun doute – par les mots utilisés - que le Parmigiano, auquel se réfère Maso lorsqu’il décrit le pays de Bengodi à Calendrino, est exactement le même fromage que celui qui se prévaut, aujourd’hui, du nom de Parmigiano-Reggiano :
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On y voit une montagne de fromage Parmigiano râpé, sur laquelle demeurent des gens qui ne sont occupés qu’à faire des macaroni et ravioli qu’on cuit dans du jus de chapon et qu’on jète ensuite en l’air aux passants ; et plus il y en a, qui plus en attrape... (1349-1353). Giovanni Boccace, Décaméron, Journée VIII, troisième nouvelle, Venise, Giovanni et Gregorio de’ Gregori. Avec la belle trouvaille, qu’une fois cuits, ils les faisaient rouler sur le fromage pour mieux les assaisonner. Cette tradition d’assaisonner les pâtes avec le Parmigiano remonte à des temps très anciens comme en témoigne Frère Salimbene dans "Les Chroniques”.
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Un soir Andrea del Sarto présenta un petit temple à huit faces, similaire à celui de San Giovanni, mais monté sur colonnes. Le sol était un grand plat rempli de gélatine avec des effets de mosaïque de plusieurs couleurs. Les colonnes qui semblaient de porphyre étaient de grandes et grosses saucisses, les bases et les chapiteaux étaient de fromage Parmigiano. Giorgio Vasari, Vite de' più eccellenti architetti, scuplteur et peintre, Florence.
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Le territoire autour de la ville est très fertile et agréable, riche de céréales et de fruits de toutes sortes, mais surtout de vins, d’huile, lait et fromage, qui est connu dans le monde entier. Gaspar Ens, Deliciae Italiae, Coloniae, Du XVIième siècle, nous parvient aussi un témoignage qui affirme qu’“à cette époque, le premier orgueil de l’Italie est le fromage Parmigiano, alors qu’il était attribué auparavant à l’abondance de la laine”. En 1656, citons le dictionnaire des synonymes de Francesco Serra, où il est écrit que “les noms de fromage dérivent des endroits où il s’exprime le mieux ; comme le Parmigiano, qui prend son nom de la localité et de la bonté" (c’est-à-dire du lieu où il est le meilleur). Un autre témoignage, curieux et plus frappant, concerne celui de Cristoforo di Messiburgo, célèbre alors. Dans un de ses livres de recettes, il y décrit la soirée privée du 17 janvier 1543 organisée dans sa demeure : C’était une petite soirée entre amis, dirait-on aujourd’hui, d’une 20 aine de personnes, en toute simplicité (Messire Cristoforo souligne : “Sans veau et sans chapons”). Pourtant, “les fruits et confiseries”, en somme le dessert, comprenaient en 6ième plat le fromage “Parmigiano" en plus du reste. A noter, raffinement suprême, le Parmigiano-Reggiano est servi avec du raisin frais et des poires. Aujourd’hui, on redécouvre ce fromage accompagné de fruits (raisins et poires, mais également pommes, pêches, noix, figues, kiwi...) pour finir un repas. C’est aussi un “dessert” de gourmet.
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Les pâtures permettent de nourrir une quantité incroyable de vaches qui donnent le lait avec lequel se fait le fromage si connu dans le monde et qui se vend en chiffres considérables. François Leblanc, Mémoires…, manuscrit inédit, Paris, Bibliothèque Nationale....L'excellence du fromage Parmigiano, si renommé dans toutes les tables élégantes d’Europe,provient d’excellentes pâtures de la campagne... [...]John George Keysler, Voyages à travers l’Allemagne, l’Italie... Londres, 1760.
D’autres témoignages font indirectement référence à l'histoire du Parmesan ou Parmigiano-Reggiano. Par exemple, plusieurs biographes de Molière y font référence : Sur la fin de sa vie, le grand comédien se nourrissait avant tout de Parmigiano. Déjà, à l’époque, il répondait aux préceptes de la nutrition d’aujourd’hui. Il est, en effet, recommandé aux enfants et aux personnes âgées pour son apport nutritionnel élevé, son aptitude à être très digeste et sa richesse exceptionnelle en calcium et phosphore facilement assimilables par l’organisme.
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Je mourrai de faim et ils me dirent qu’il n’y avait rien à manger. Mais, convaincu du contraire, j’ordonnais à l’aubergiste, en lui riant au nez, de m’apporter beurre, oeuf, macaroni, jambon et fromage Parmigiano, parce que je sais que ce sont les choses que l’on trouve partout en Italie..
Giacomo Casanova (1725-1798), Histoire de ma vie, Paris,, 1797.
Mais, les preuves les plus indiscutables sont les manuscrits des archives de Reggio Emilia et de Parme, en particulier les registres des marchandises exportées qui font référence à des lots de Parmigiano-Reggiano vendus dans toute l'Europe. Ils sont nombreux. Citons, parmi eux, un extrait de lettre du “Collège des Anciens de Reggio Emilia", datée du 21 janvier 1536 : Suite à une plainte de “A. Patacino, notre citoyen”, ces messieurs adressèrent une lettre de protestation circonstanciée à Venise car lorsqu’il avait acheminé du Parmesan à Venise, on l’avait contraint à payer une taxe. Cette missive, aux résonances curieusement actuelles si l’on considère les échanges internationaux, mérite de clore cette petite liste de témoignages.
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Nous allâmes à l’Auberge de la Poste qui nous avait été conseillée par un ami et nous mangeâmes un repas de fromage, au véritable Parmigiano: soupe grasse au fromage, côtelette de mouton panée au fromage, une omelette au fromage, macaroni à l’italienne (naturellement au fromage), dessert au fromage, le tout accompagné d’un vin qui montait à la tête et dont nous fîmes grande consommation pour la grande soif que nous avaient procurée tous ces plats. Ce fut la raison pour laquelle, après le repas, nous fûmes encore plus invités à aller nous reposer. (1859).
Edmund Roche, L'Italie de nos jours, Paris, s.d.
...“Vous devez vous rendre à Parme- nous dirent-ils- c’est l’endroit où l’on mange le mieux en Italie.  Nous fîmes un de ces repas dont on se rappelle toute sa vie sans être capable de décrire exactement tout ce qui s’y était mangé.  il n’y a qu’à Parme où l’on puisse s’attendre à ce que le fromage ait cette place de choix dans la cuisine locale. Ainsi, lorsque la propriétaire nous porta les côtelettes de veau, elles étaient enveloppées d’une sorte de couche de Parmigiano, entourée de truffes blanches du plus bel effet décoratif. Spike Hugues, Out of Season, London, 1956.
...J’ai en tête un fabuleux restaurant dans lequel je trouvai refuge après la parenthèse sublime (Cathédrale et baptistère). […..] Et finalement l’ « aubergiste-officiant » écarta les tendons du Saint des Saints pour me montrer un morceaux rugueux de Parmigiano. Le couteau à coeur incisa religieusement la croûte à peine débarrassée de dépôt : immédiatement tel un éclat somptueux, le granite ocré de la surface, à peine ponctuée d’humbles alvéoles, s’offrit. En me voyant manoeuvrer le couteau, l’ « aubergiste-officiant » s’assombrit : je respirai de soulagement quand il me dit de saisir l’éclat du bout des doigts fervent du gourmet. Je quittai Parme débordant de béatitude pour m’être toujours senti chez moi. Je portai en moi un souvenir intrinsèquement lié au plaisir. Tout ce qu’avait exprimée la terre parmesane, je l’avais accueilli avec la sensation agréable que rien ne me fut étranger, ni par le goût, ni par la culture. Gianni Brera, “La Repubblica”, 20
janvier 1989.